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Architecture de la foule - Foule et Basculements

Studio de projet des Master 1 & 2 - ENSAB Rennes - 2023/2024
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ARCHITECTURE DE LA FOULE

Foule & Basculements - 2023/2024

Studio de projet - ENSAB Rennes

Master 1 & 2

                                             

Encadrants responsables

Can Onaner avec Mathilde Sari 

Labo photo : Emmanuel Groussard

Ce studio de projet vient s'inscrire en continuité du thème général de l'atelier qui se propose de travailler sur les architectures de la foule. Entre la place publique, l’agora, le théâtre ou l’acropole à ciel ouvert et les grands espaces communs couverts comme les bains, les grands bazars, les bibliothèques ou les usines, l’architecture de la foule est un type à ré-inventer.

Cette année, en prenant comme occasion l'invitation à notre atelier de participer au pavillon français de la Biennale de Venise, nous vous proposons de travailler sur le thème du basculement.

C'est à travers cette notion polysémique que nous chercherons à tisser des liens nouveaux entre le projet d'architecture et le thème social, psychologique et politique des foules, mais aussi avec la ville de Venise, pour laquelle l'idée de basculement renvoie à l'imaginaire d'un engloutissement toujours contenu en suspens.

 

Architecture et basculement

Par l'idée de basculement nous entendons le passage brusque d'un état à un autre. Un basculement intempestif mais joyeux, non choisi mais opportun. L'architecture de ce basculement sera composée avec les morceaux de notre monde en crise, d'hier et d'aujourd'hui, pour des retournements joyeux de situations angoissantes. Basculements du sommeil à l'éveil, du poids à la légèreté, de l'ordre à l'informe, de l'humain à l'animal, de la conscience au rêve, du calme à la révolte, de la peur au courage. Basculements d'un état à l'autre, individuels ou collectifs, physiques ou psychiques.

A priori, l'idée d'un basculement intempestif, brusque et peu prévisible ne laisse pas de place au processus long du projet d'architecture, à ses contraintes ou à ses stratégies. C'est alors en faisant le récit du basculement, en s'intéressant à ses causes et à ses effets, à l'avant, au pendant et à l'après, que nous allons inscrire le basculement dans la temporalité longue de l'architecture.

Si un basculement peu être prévisible, déterminée par des conditions matérielles objectives, sociales et économiques, ses séquences comme ses conséquences, restent toujours imprévisibles et indéterminées. Si l'on prend l'exemple d'une révolte sociale, les causes seront toujours traçables, mais l'instant de son avénement, son intensité et ses conséquences seront imprévisibles, car en grande partie indépendantes des conditions qui ont engendré la révolte. Il en est de même pour un basculement psychique, ou physique : si les raisons du basculement sont prédéterminées, la manière dont celui-ci va advenir reste imprévisible. Il existe milles explications aux éboulements rocheux, à l'effondrement d'un édifice, comme aux décompensations psychiques de type maniaques ou dépressives, pourtant, on ne sait pas quand le basculement aura lieu, avec quelle intensité et quelles conséquences.

En partant de la notion de basculement, nous entendons ainsi situer le projet d'architecture dans cet entre-deux, entre déterminations matérielles et imprévisibilité de l'événement : l'architecture dont on fait le projet comme cadre matériel, condition sociale et économique nous permettra alors d'envisager des basculements individuels et collectifs, aussi bien physiques, psychiques que sociaux.

Foules et basculement

En suivant Malcom Gladwell, on peut définir le point de bascule (Tipping point) comme une « rupture à partir de laquelle on observe un changement radical1 », une diffusion d'informations non seulement rapide, mais non linéaire, disproportionnée, violant le principe de proportion entre cause et effet : « un petit événement qui produit de grandes conséquences », comme le bâillement d'une personne qui engendre celui de toutes les personnes autour par effet de mimétisme incontrôlable. Par un effet de contagion émotionnelle donc, entre physique et psychique, qui rappelle la psychologie des foules, telle qu'analysée par Le Bon, puis Freud. On peut aussi penser à la contagion d'une rumeur, ou celle d'une épidémie biologique, où le point de basculement correspond à l'instant à partir duquel les effets, sans logique de proportion avec les causes, vont augmenter de manière à la fois brusque et exponentielle.

Le basculement est donc une contagion, pour ne pas dire un afoulement. En cela, il concerne de prime abord notre intérêt pour les foules en tant qu'entités sociales et psychiques : forces de débordement chaotique, mais aussi force d'émancipation à l'origine de nouvelles organisations sociales et politiques.

Le long de cet atelier de projet, nous allons nous intéresser à la manière dont cette contagion – physique, visuelle et matérielle, mais aussi psychique, sonore et immatérielle – va transformer l'architecture d'un lieu, les infrastructures d'une ville et les aménagements d'un paysage.

Pensé sous l'angle des foules, le projet d'architecture consistera à faire le récit de ces basculements. Basculements où l'architecture jouera, pour les foules, le rôle de cadre physique (scène urbaine), de structure symbolique (langage et représentation), de véhicule (instrument et acteur) et de produit (formes spatiales, matérielles et symboliques crées). Faire basculer une architecture de la foule reviendra alors à concevoir ces différents états et ces différents rôles.

 

Venise et basculement

Venise convoque l'imaginaire du basculement à maints égards. Les majestueux édifices vénitiens en pierre blanche d'Istria sont suspendus sur des troncs d'arbres plantés dans la lagune2 ; la fragilité de cette assise peut basculer par le mouvement de la terre marécageuse, autant que les édifices submergés par la montée des eaux. Les fondateurs de Venise, terrorisés par les attaques barbares, y prirent refuge tout en choisissant une nouvelle menace : celle « des marais insalubres fait de canaux et de bancs de sables mouvant ; d'une chaîne d'îles séparées par de petits passages dont le fond monte et descend en fonction des caprices de la mer »3.

A commencer par les peintres Vénitiens de la Renaissance, toute la création esthétique de Venise cherche à maitriser et tenir à distance la nature pour qu'elle n'absorbe pas le travail humain, pour que le rustique ne vienne pas engloutir l'urbain. Venise vit donc avec un risque d'engloutissement qui alimente son imaginaire.

Un autre basculement qui habite l'imaginaire vénitien est celui lié aux fêtes. Des fêtes religieuses et civiles, jusqu'aux événements sportifs et autres loisirs collectifs et publics, l'espace vénitien est le théâtre de regroupements de foules festives, dont le carnaval n'est qu'un exemple. Ici, le basculement, social et culturel, a lieu dans l'espace public.

L'histoire vénitienne comprend également différentes épisodes de basculements politiques, notamment avec la chute de la république vénitienne qui, en 1797, perd son autonomie après 1100 ans d'indépendance, pour être occupée par les français puis les autrichiens, jusqu'en 1866, où le traité de Vienne rétrocèdera Venise à l'Italie. Venise sera de nouveau occupée par les nazis de 1943 à 45, avec des résistances organisées dans la ville qui a une longue tradition indépendantiste.

Les basculements à Venise ne sont donc pas uniquement physiques ; ils sont sociaux, politiques et symboliques, autant que temporels et spatiaux. Le basculement est avant tout dans l'imaginaire et les représentations que la ville offre d'elle-même. A Venise, on bascule d'un temps à un autre, d'un espace à un autre, d'un état à un autre, comme on se déplace d'une île sur une autre. Chaque fragment de terre plein semble flotter dans un espace-temps qui lui est propre. Par son caractère fragmentaire et hétérogène, Venise inspire naturellement le déplacement analogique qui permet à un édifice de s'autonomiser pour se retrouver agencé dans un autre temps, un autre lieu. Que ce soit dans les peintures de Bellini, puis les capriccio de Caneletto, une Venise imaginaire est créée. Une Venise analogue, faite de places, de temples, de colonnes, d'arcs, qu'Aldo Rossi reprendra comme matrice de sa Citta Analoga.

Le déplacement et la composition analogique peuvent être appréhendés comme des points de basculements d'une réalité à une autre. D'une réalité perçue dans un temps et un lieu expérimentés, vers une réalité imaginaire construite par le souvenir ou le fantasme, en reliant différents fragments d'une mémoire à la fois collective et individuelle.

Dans le cadre du projet, nous allons considérer l'analogie comme un premier point de bascule dans le processus de conception : un mécanisme de démultiplication des possibles qui se fait en plusieurs étapes - par désencrage, fragmentation, transformation, déplacement, ré-assemblage, puis ré-encrage – de manière à décomposer la forme, dissoudre l'échelle, dissoudre le lieu, et désynchroniser le temps. C'est en associant au langage de l'architecture vénitienne des éléments venus d'ailleurs, que nous allons d'abord faire basculer le paysage vénitien.

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Formes et matières du studio, déroulement du semestre

 

Vous avez une entière liberté dans la constitution de vos récits qui se préciseront le long du semestre. Seulement, ces récits doivent répondre à trois critères :

1- le récit doit intégrer l'architecture en tant que cadre, véhicule, objet du basculement.

Cette architecture sera « transformiste » ou « transgenre », pensée selon différents états – matériels, formels, symboliques – ; elle sera contagieuse et déployable, donc conçue à différentes échelles, de manière discontinue (fragments d'architectures dispersés) ou continue (infrastructures linéaire ou rhizomiques).

2- le récit doit impliquer des regroupements importants d'individus, des foules qui occupent, peut-être construisent, au minimum transforment l'architecture et le territoire environnant. La représentation de ces foules dans les différentes phases du récit, en lien avec les différents états de l'architecture, sera un des enjeux du semestre.

3- le récit doit être en lien avec la ville de Venise, s'intéresser à son histoire et son passé mythique, afin d'interroger notre époque contemporaine. Tout en suggérant les transitions en cours et les basculements latents, le récit doit les inscrire dans l'histoire matérielle, culturelle et sociale de la ville.

Noter que, pour l'ensemble des projets, le basculement prendra la forme d'une contagion spatiale, matérielle et formelle, qui partira d'un dispositif architectural restreint – un pont, un portique, un kiosque ou autre structure éphémère installée sur une place, la fraction d'un quai, le fragment d'une arcade, etc.– pour se déployer à grande échelle, sur l'ensemble de la ville-archipel, sinon encore plus loin en empruntant les eaux.

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Venise analogue : « la scène originale »

Une première phase d’écriture et de dessin se fera à partir de références architecturales et artistiques proposées par les enseignants, en lien direct ou indirect avec la Ville de Venise.

Nous vous proposons d'esquisser une Venise analogue, en partant de choix multiples parmi les différentes références. Des fragments issues des références seront ainsi re-dessinés, ré-agencés ensemble, de manière à constituer la scène d'un événement à Venise.

Vous pouvez choisir de situer l'événement dans un lieu spécifique de la ville de Venise – une place, un pont, le portique d'un édifice en particulier – ou proposer une représentation plus large du territoire – un ensemble de ruelles, un réseaux de places, de canaux, d'îles, etc. Quelque soit l'échelle et le cadrage choisis, la scène de l'événement sera une Venise imaginaire, constituée avec des architectures venant d'ailleurs.

Le dessin-collage donnera à voir un état particulier de cette Venise analogue : celui juste avant le basculement, la  « scène originelle ». On s'intéressera ainsi à une architecture liminale : une architecture du seuil, suspendue entre deux états, un état ancien, déjà dépassé, mais qui n'a pas encore effectué sa transmutation dans sa nouvelle forme.

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Voyage à Venise

Le voyage à Venise permettra d'inscrire votre récit dans des lieux dont vous ferez l'expérience physique, inscrite dans la durée, en faisant attention à la temporalité des lieux, à la perception changeante des lieux selon les heures de la journée et de la soirée, selon les occupations, selon l'atmosphère lumineuse, sonore, etc. Une attention particulière sera faite aux mouvements des corps, aux effets de rassemblement, mais aussi à la matérialité (de la ville et de ses eaux), aux couleurs et aux sons.

En arpentant ses lieux, vous imaginerez donc vos basculements et vos afoulements en leur choisissant un espace expérimenté. Vous devrez donc repérer ce lieu particulier qui sera le point de départ de la contagion de votre architecture.

Il peut s'agir d'un édicule au milieu d'une place, d'un pont, d'un seuil entre public et privé, d'un intérieur d'édifice, d'un balcon, d'une loggia, d'une terrasse ou d'un toit sur un édifice, d'un dispositif flottant sur l'eau ou enseveli dans les profondeurs de la lagune.

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« La scène animiste » : corps et architecture

Pour cette étape vous concevrez deux types éléments : l'un pour le corps, l'autre pour l'architecture. Pour le premier type, il pourrait s'agir de masques, de vêtements, d'instruments ou d'outils ; pour le deuxième, il s'agirait de colonnes, d'emmarchements, de portes, de fenêtres ou de tunnels et de pontons, d'ornements, de tissus, de meubles ou de petits édicules, etc.

Ces deux éléments devront s'associer lors de la créations d'une nouvelle scène dans le lieu précis relevé à Venise. Nous nommerons cette scène : la « scène animiste ».

Il s'agira d'y imaginer des confrontations ou des osmoses entre architecture et corps humains, en lien avec votre récit dans la ville de Venise, et de créer un lien analogique entre les corps et l'architecture : entre un vêtement que l'on met comme une armure pour traverser une porte décorée d'ornements sacrés, une prothèse technologique que l'on fixe à son bras pour se connecter à un pilier lors d'un rituel, une amulette tatouée ou portée comme bijou, qui sera reproduite pour recouvrir la surface des murs d'un palais, l'urne et l'autel miniature qui l'accueille, ou encore, le dessin d'un masque pendant le carnaval et les rues aux façades déformées que les corps masqués arpentent.

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Étude matérielle

La maquette et le films serviront à travailler la plasticité de vos « personnages architecturaux », à expérimenter par de nouvelles matérialités, afin de découvrir de nouvelles textures et formes, mais également des spatialités résultantes. Il ne s'agit donc pas uniquement de représenter en volume vos personnages architecturaux, mais de les décliner dans leurs qualités matérielles, formelles, etc. grâce à une expérimentation dont vous définirez les paramètres et règles – types de matériaux, type de moulage excavation ou assemblage, etc. – sans pouvoir entièrement anticiper les résultats.

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L'architecture qui monte

En partant des artefacts et des éléments architecturaux créés et mis en scène, cette phase consistera en la composition d'un édifice architectural qui n'est plus envisagé comme une scène unique, mais plutôt comme un dispositif spatial, structurel et technique donnant lieu à une multiplicité de scènes, permettant différents usages, accueillant différents événements de la vie publique de Venise.

La conception de votre édifice se fera en partant des artéfacts corporels et des éléments architecturaux conçus dans les séquences précédentes. Vous pourrez pour cela suivre deux directions, deux modes de conception architecturales qui peuvent être complémentaires : d'une part, les personnages architecturaux (pré-compositions à partir de colonnes, de fragments de murs, marches, portes, portion de pont, bout de toiture) seront démultipliés et transformés, pour être re-agencés et re-assemblés de manière à créer un édifice complexe et hétérogène, dans lequel nous pourrons lire l'addition des formes pré-composées. De l'autre, les figures, matières et motifs issus des artéfacts corporels pourraient se démultiplier pour engendrer une continuité matérielle de manière organique : structures et peaux réticulaires s'érigeraient depuis le sol pour dessiner l'édifice depuis l'intérieur, des fragments de meubles s'afouleraient pour proposer de nouvelles dispositions des espaces.

Dans les deux modes de conception, il y a une « montée » de l'architecture qui est aussi une première contagion. Cette montée n'est pas forcément verticale, elle peut être un étalement ou une descente dans les profondeurs. Elle est à entendre comme une intensification. Elle n'est pas forcement une explosion de mobilités mais peut-être une immobilisation.

Cette phase du projet doit également se confronter à la question des usages. A la notion de programme, nous préférerons celles d'événement et de situation, qui suggèrent davantage la part imprévisible d'une architecture de la foule et du basculement. Sans recourir à un programme comme un théâtre, une place couverte, ou une salle de spectacle, un marché, une bibliothèque ou une usine, il faudrait imaginer un édifice public, entre intérieur et extérieur, en lien avec des événements propres à votre récit et le basculement à venir. 

L'édifice sera le mécanisme qui prépare et fait monter l'intensité des foules vers un état de débordement, en attente du basculement. Son architecture sera le cadre du basculement, mais également le produit de ce basculement, parce qu'il se transformera avec lui. L'édifice sera donc la scène en attente du basculement, avant sa contagion dans la ville. Pour cela, cette architecture sera pensée à trois états : avant, pendant puis après le basculement.

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Maquettes, film et rendu général

La dernière phase sera l’occasion de réaliser une/des maquettes de votre architecture contagieuse, de préparer le rendu général et de fabriquer un film.

D’une longueur maximum de 4 minutes, le film sera monté à partir des images et des sons réalisés tout au long du semestre. Il sera projeté au jury final en accompagnement des autres documents.

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