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LES TERRITOIRES DE LA FOULE

Projet - vidéo

Licence 2

Encadrants responsables

Can Onaner avec Lydie Chauvac

et Mathilde Sari

L’architecture a toujours eu tendance à refouler son rapport à la foule, de telle sorte que la foule reste pour une grande part un impensé de l’architecture. 
Rien d’étonnant à cela : si la foule peut fondamentalement être définie comme une force chaotique qui échappe
à la raison, si elle est d’abord et avant tout une dynamique destructrice de l’ordre social, l’architecture est inversement une opération intellectuelle qui cherche
à ordonner l’énergie immanente de la foule fusionnelle. Et quoi de plus efficace pour l’architecture que de s’attaquer directement à la foule : la réduire à un ensemble d’individus atomisés qu’elle peut orienter et diriger dans ses rues ; en faire une « masse » compacte qu’elle peut organiser sur ses places ; la prendre pour un « public » à éduquer à l’intérieur de ses équipements ; la représenter comme un « collectif » et en devenir le forme symbolique.
Plus efficace encore, l’architecture peut nier l’existence même de la foule, elle peut la refouler de toutes ses formes abstraites et autonomes, refusant l’individu comme le collectif, en construisant pour les dieux. Mais la chose refoulée ne saurait que ressurgir.
Car à l’origine même de ce que l’architecture a fait de plus rationnel et de plus ordonné, il y a le chaos de la foule. L’armée et l’Eglise sont nées du chaos de la foule.
La ville organisée, pensée, dessinée, n’a été possible seulement parce qu’il y a d’abord une foule qui s’est réunie de manière informelle dans un lieu donné et qu’elle s’est, par la suite, agrandie par des effets de migrations tout aussi incontrôlables et chaotiques.
L’ordre social architecturé est toujours d’abord une foule chaotique refoulée dont l’inversion en chaos est constamment tenue en suspens. Sa présence n’est
jamais totalement éradiquée, son apparition est toujours imminente. Et c’est encore dans le cadre donné par l’architecture que cette inversion de l’ordre en désordre, de la masse organisée en foule chaotique, pourrait avoir lieu. C’est au milieu des places architecturées, au dessus des infrastructures conçues par l’architecte et l’ingénieur que la foule pourrait de nouveau fusionner pour remettre en question l’ordre social institué dans l’espace et le temps. 
La foule, plus qu’une réalité empirique sociale ou une idéologie politique, apparaît donc comme la part irrationnelle qui est contenue derrière les constructions idéologiques des rapports entre l’individu et le collectif, constructions dont l’architecture est un agent primordial. La foule est à la fois l’énergie inconsciente à l’origine de la construction de l’idéal social et l’horizon anxiogène de cet idéal une fois que l’architecture qui la soutient s’est effondrée. Au même titre que l’idéal de l’individualité dont elle est l’image en miroir, elle est l’ombre inquiétante d’un état chaotique et primitif refoulé par la modernité.

Face à ce refoulement, nous énonçons qu’il n’existe pas d’architecture sans rapport à la foule. L’architecture est ce qu’elle est parce qu’il y a d’abord la foule : un désir ou une peur de la foule. Pour la contrôler, pour la civiliser, pour la nier, ou au contraire pour en devenir l’expression chaotique :
sa surface d’inscription transpirante.

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